L’éclairage public intelligent – une révolution logicielle méconnue pour la ville intelligente de demain

Hervé Dedieu, CEO

1. Introduction

Les éclairagistes disposent aujourd’hui d’un recul important sur la technologie LED dans l’éclairage public. Déployée depuis une dizaine d’années, la LED conquiert encore marginalement nos villes, mais elle est aujourd’hui la seule alternative sérieuse pour la rénovation de tout parc d’éclairage public.

Le déploiement d’un éclairage LED présente trois avantages majeurs, il offre une efficacité opérationnelle sans égale vis-à-vis des solutions précédentes, un confort visuel inédit et enfin une robustesse et une longévité exceptionnelles.

Au-delà de ces trois avantages, il faut dire d’emblée que la technologie LED est une technologie numérique qui fait irruption dans l’éclairage public. Cette technologie a été standardisée au travers d’un effort coordonné des industriels qui se sont accordés sur des normes numériques et mécaniques. Ces normes récentes ont un très grand impact sur la facilité de déploiement ; elles induisent aussi une concurrence plus saine entre les manufacturiers et elles orientent à la baisse le prix des équipements. Cette évolution numérique fait basculer l’éclairage public dans une nouvelle ère permettant une amélioration opérationnelle drastique (énergie, maintenance) qui va être un atout majeur pour les villes désirant décarboner et limiter leurs dépenses énergétiques.

D’un point de vue décarbonation, on retiendra la possibilité de diminuer via l’introduction de la LED, d’au moins 50% la consommation d’énergie et la très grande longévité des équipements (100’000 heures) qui abaisse les coûts de maintenance et la pollution induite.

Toutefois, derrière ces avantages connus, se cachent d’autres aspects. A l’heure où les problèmes de sobriété énergétique se posent de manière de plus en plus aigüe, nous voudrions rendre attentif quant aux prolongements relativement méconnus d’une révolution actuellement en marche dans l’éclairage public.

L’éclairage public est l’une des seules infrastructures qui peut-être décarbonée à hauteur de 70% à 80% grâce à l’irruption de la digitalisation et des nouvelles technologies. Cette révolution concerne bien plus que l’éclairage public, elle concerne un ensemble de services qui seront offerts par les Services Industriels de demain et pour lesquels les logiciels de gestion de l’éclairage public vont jouer un rôle fédérateur.

Explications !

2. De la LED à la LED intelligente

2.1. Amélioration des performances

L’éclairage à base de LED propose une première solution pour décarboner l’éclairage public à hauteur de 50%. La nature digitale des ballasts qui contrôlent la puissance de l’éclairage LED permet d’aller beaucoup plus loin en adaptant l’intensité de l’éclairage selon le contexte. Moyennant une connexion réseau bidirectionnelle de chaque luminaire à un serveur, on peut optimiser la puissance du flux lumineux selon les besoins réels et instantanés, par exemple selon le lieu, la date, l’heure, le volume de trafic, la présence d’un véhicule ou d’un piéton. Afin de créer des connexions à un serveur, on équipe l’infrastructure des luminaires LED de contrôleurs ad hoc qui ont pour fonction de créer un réseau sans-fil de type Internet des objets épousant de façon ubiquitaire toutes les artères et la canopée de la ville.

Ce réseau de communication qui tisse sa toile au-dessus de la ville, permet de donner des ordres spécifiques à chaque luminaire. Ces ordres peuvent consister à éclairer selon des profils de puissance dépendant de l’heure et du jour de la semaine. On distingue deux types de solutions. Dans un premier type de solution, plus adaptée à l’éclairage routier, on connaît généralement à l’avance les densités horaires de trafic. On peut ainsi abaisser la puissance, à certaines heures creuses de la nuit où le trafic est très faible, par exemple à 20% de la puissance nominale. Ce premier type de stratégie d’abaissement selon des profils horaires permet d’abaisser en règle générale de 30 à 40% la puissance moyenne de l’éclairage LED. En puissance cumulée, cette solution de LED intelligente permet d’économiser en moyenne 70% de l’énergie dès lors qu’elle remplace les dernières solutions d’éclairage au sodium.

Dans un deuxième type de solution, plus adaptée aux zones résidentielles, une stratégie d’abaissement dynamique est utilisée. Ici, par défaut, on éclaire très peu, de l’ordre de 10% de la puissance nominale. Les contrôleurs sont munis de détecteurs de mouvements, ils permettent de commander une augmentation de la puissance lumineuse en fonction de l’entrée d’un piéton ou d’un véhicule dans le champ de détection. L’existence d’un réseau de communication au-dessus de la canopée permet d’avertir des luminaires voisins afin de créer des chemins de lumière qui assurent un guidage sécurisé des piétons. Dans la plupart des villes où nous avons déployé cette stratégie, la LED intelligente permet une économie d’énergie considérable de l’ordre de 80%.

Quartier résidentiel

Enfin, il existe une stratégie hybride à ces deux solutions appelée parfois abaissement volumétrique qui consiste à déployer des compteurs de trafic sur des portions de route. On peut alors abaisser l’éclairage, sans connaissance a priori du trafic, mais selon des algorithmes d’adaptation au trafic récent moyen.

L’adaptation fine de la puissance lumineuse grâce à l’éclairage LED intelligent permet donc une décarbonation entre 70 et 80% de l’éclairage traditionnel à base de lampes à décharge au sodium. Pour les parties plus anciennes de l’infrastructure qui contiendraient encore des lampes au mercure, le remplacement de ces lampes amène des économies encore plus spectaculaires.

2.2 L’efficacité opérationnelle de la LED intelligente

Au-delà de ces économies très significatives, la possibilité de connaître en temps réel l’état de l’infrastructure, des contrôleurs, des ballasts, permet de disposer d’un relevé précis et d’une notification de pannes. Cet état connu et permanent de l’infrastructure et de l’inventaire offre aux éclairagistes des possibilités inédites de rationalisation de la maintenance. Nombre d’opérations qui demandaient l’usage de camions-nacelles et la réquisition d’un chauffeur et d’un éclairagiste sont réduites à des clics de souris sur une interface applicative disposant de la cartographie du réseau d’éclairage public. Ainsi, de surcroît à la longévité des luminaires LED qui ne demandent aucun remplacement durant 15 à 20 ans et qui exigent donc bien moins de remplacements que les anciennes lampes à décharge, on dispose de gains de maintenance opérationnelle très significatifs.

Maintenance

La LED intelligente permet donc de jouer sur deux tableaux, des économies d’énergie de l’ordre de 70% et des économies opérationnelles qui sont un peu plus difficiles à chiffrer, car dépendantes du contenu des contrats de maintenance précédents. En pratique, il n’est pas rare de tabler sur des économies de maintenance de 20 à 50%.

Alors que nombre de projets en Suisse, il y a deux ans à peine, se contentaient de déployer de la simple technologie LED du fait de sa facilité d’installation, la question de savoir s’il faut déployer ou non de la LED intelligente ne se pose guère plus aujourd’hui. Devant les gains énergétiques supplémentaires amenés par la LED intelligente, devant les gains de maintenance et les services supplémentaires amenés par le logiciel, la LED intelligente s’impose désormais.

3. La révolution logicielle dans la gestion de l’infrastructure d’éclairage public

Logiciel

Les infrastructures d’éclairage public sont en train d’évoluer du fait que de plus en plus, l’informatique, les réseaux et l’Internet des objets font irruption dans un monde où jusqu’alors des commandes enclenchées par des horloges et des sondes crépusculaires sonnaient l’heure de l’éclairage indifférencié et tout ou rien de segments entiers de luminaires. Aujourd’hui, chaque luminaire peut être traité de façon différenciée de manière à éclairer juste comme il faut, là où il faut et quand il faut. De même chaque luminaire renseigne désormais un serveur sur sa consommation d’énergie et ses éventuelles pannes. Cette évolution majeure lance un défi aux éclairagistes qui doivent intégrer dans leur pratique un savoir-faire informatique.

Ce savoir-faire informatique va désormais les aider dans la gestion de leur parc de luminaires, non seulement en leur permettant d’ajuster l’illumination de la façon la plus juste et la plus parcimonieuse, mais aussi en rationalisant les coûts de maintenance. Enfin, le logiciel permet la connaissance fine, ubiquitaire et temps-réel de la performance énergétique de l’infrastructure installée. Ceci va s’avérer très important pour les services industriels ou les spécialistes en énergie qui devront rendre compte auprès des villes de l’efficacité des nouvelles solutions mises en œuvre.

Le logiciel peut être désormais vu comme le chef d’orchestre de l’ensemble des services offerts par les acteurs de l’éclairage public. Des concepteurs initiaux qui devront de plus en plus optimiser leurs coûts, aux installateurs qui vont mettre en service les systèmes, aux éclairagistes qui vont optimiser leurs déplacements et l’énergie utilisée, jusqu’aux maîtres d’ouvrage qui devront rendre compte aux villes de la performance réalisée ; tous ces acteurs devront utiliser un même logiciel qui devra optimiser les coûts d’installation et de maintenance.

Cette dépendance de la gestion de l’infrastructure via des logiciels performants et offrant des services à chacun des métiers de l’éclairage public va s’accroître si l’on imagine dès à présent que les contrats de performance énergétiques (CPE) seront l’alpha et l’oméga de la mise en place rapide de nouvelles infrastructures. S’il apparaît clairement pour les villes, que la transformation de l’éclairage public bas-carbone via le financement au fil de l’eau de l’infrastructure par la performance est réalisable, alors les prises de décisions seront beaucoup plus rapides. L’optimisation de la performance de chaque partie prenante sera importante, et c’est le logiciel et la numérisation des procédés des éclairagistes qui le facilitera. A cette condition pourra se créer un marché massif et une décarbonation massive de l’éclairage public.

4. La montée en puissance vers des services industriels connectés

Derrière cette montée en puissance du logiciel dans les réseaux d’éclairage public apparaissent aussi d’autres aspects stratégiques très importants. Les industriels de l’éclairage public ont été parmi les premiers à anticiper l’arrivée des besoins des villes intelligentes. Du fait que l’éclairage public est rapidement apparu comme l’une des premières applications smart city apportant des économies d’énergie, les industriels de l’éclairage ont été les tous premiers à s’accorder pour imaginer des normes d’interopérabilité pour la connexion d’objets smart city autres que les équipements de l’éclairage public. Ainsi, le consortium TALQ, fondé en 2012 initialement par des fournisseurs d’éclairage extérieur intelligent, est devenu un consortium industriel ouvert traitant de l’ensemble de l’environnement de la ville intelligente. Le consortium TALQ a défini une norme d’interface mondialement acceptée pour les réseaux d’appareils de ville intelligente. Ce prolongement des logiciels d’éclairage public intelligent vers des logiciels de gestion smart city est en train de devenir une réalité. Il accroît de façon significative l’intérêt pour les villes de déployer des réseaux de LED intelligente et d’acquérir ou d’utiliser des logiciels de gestion d’éclairage intelligent orientés smart city.

Smart City

L’augmentation drastique des prix de l’énergie et la nécessité de contrôler la dépendance énergétique pour des raisons climatiques et géopolitiques changent désormais radicalement la donne économique. Certains services industriels pionniers commencent à proposer le financement des infrastructures d’éclairage public via la performance énergétique. Le financement par des crédits-bails d’infrastructures d’éclairage public devient très attractif pour des villes qui pourront réformer leurs vieux parcs d’éclairage sans grever leur budget de fonctionnement. Ces nouvelles facilités de financement vont positionner les services industriels en tant que prestataires de services pour les villes intelligentes de demain. Ainsi, les logiciels d’éclairage public intelligent vont jouer un rôle stratégique majeur dans les services rendus aux villes qui vont pouvoir moderniser nombre de services rendus à leurs concitoyens. Ces logiciels vont devenir en fait des outils fondamentaux pour de nouveaux services industriels intelligents et connectés.